Faire un don

Hier, avec le Christ nous apprenions à nous réjouir du bonheur des autres et à devenir serviteur de leur joie. Mais que se passe-t-il lorsque la crise vient, une crise plus importante que le manque de vin, une crise qui semble tout emporter ? Est-il possible, au cœur même de l’épreuve, du deuil, de la maladie, de ces maux extérieurs, de donner un sens à ce qui nous arrive ? Alors qu’il était atteint du cancer, Alexandre Soljenitsyne le pensait. Il a écrit à ce moment-là : la liaison des cœurs (l’amour donc) et notre point de vue sur notre vie sont toujours en notre pouvoir... (cf. Le pavillon des cancéreux).

Je crois que c’est ce que le Christ Bon-Pasteur nous apprend lorsqu’il affirme : ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne. Il voulait dire que même le Vendredi saint, il serait encore acteur. Et il l’a particulièrement montré la veille de sa Passion, le Jeudi saint. Alors qu’il allait être trahi, abandonné et mis à mort, Jésus ne s’est pas enfui, il n’a pas répondu à la haine par la haine en appelant à sa rescousse des légions angéliques. Non, Il s’est mis à genoux, a lavé les pieds de ses disciples, les aimant jusqu’au bout. Puis Il a pris du pain et du vin et appelant sur eux la bénédiction du Père, l’Esprit Saint, Il les a donnés à ses disciples pour leur dire : voilà comment moi, je peux transformer le mal en occasion d’aimer, voilà mon Corps et mon Sang, livrés comme ma vie fut donnée. Ils seront, pour vous, source de vie. Par ce geste, il signifiait que donner sa vie pour eux était sa joie car, disait-il, Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.

À Cana, l’eau reçue dans les jarres était devenue du vin. Désormais, le pain et le vin deviennent présence réelle du Christ. Par ce geste, par ce don, le Christ a tout renversé. Il a donné sa vie, son corps et son sang, pour rester présent et venir vivre en nous. La plus grande crise que le monde ait connu – imaginez le Fils de Dieu qui va être mis à mort – est devenue l’occasion du plus grand acte d’amour et de don. Et c’est important pour nous car le Christ nous propose de participer à sa mission de Bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Nous ne devrions pas craindre les crises dit notre frère Timothy Radcliffe. C'est lorsque tout paraît fini, dans notre vie personnelle ou communautaire, que le Seigneur se manifeste d'une façon nouvelle et secrète. C’est tellement important pour lui, qu’il en parle souvent. Il parait même que des frères lui ont offert un T-shirt sur lequel est inscrit : Bonne crise Timothy !

Permettez-moi de partager un souvenir pas très théologique. Ma mère faisait parfois du pain perdu. Le pain rassis trouvait alors une nouvelle vie. Il était comme ressuscité pour notre bonheur ! Aujourd’hui, il est même devenu le terrain de jeu des grands chefs cuisiniers qui, chacun avec sa créativité, le transcende… Il n’existe pas deux pains perdus pareils ! Et si, lorsque l’épreuve nous accable, nous devenions ce pain perdu que Dieu peut sublimer ? Cela signifierait que notre vie, même malmenée, reste précieuse et que Dieu peut la transformer si, à la suite du Christ, je décide que ma vie, nul ne la prend. Je la donne. Oui, je peux, par Lui, avec Lui et en Lui donner mon corps et mon sang pour la vie du monde. Je peux donner mon corps, c’est-à-dire toutes les forces de vie qui sont en moi, je peux donner mon sang, c’est-à-dire mes épreuves, mes difficultés, à travers des actes aussi simple qu’un sourire, un geste partage. Et je sais qu’il rendra ce don fécond. Peut-être que je ne le verrai pas mais, dans l’espérance, je sais que je participe à l’œuvre du Salut.

C’est ce qu’ont vécu tant et tant de personnes. Je pense à Julia de Beausobre, alors qu’elle était emprisonnée par Staline et qui a choisi ce chemin : Mes bourreaux, en me plongeant dans la haine, auraient pu m’ajouter au mal du monde. J'ai essayé de les aimer parce qu’ainsi, au contraire, je n’ajouterais pas au mal du monde. Si je pouvais les aimer, me disais-je, peut-être que cet amour aurait un effet sur eux, qu'il pourrait même réduire le mal dans le monde. Le chemin de l'amour dans le Christ, de la confiance et du pardon m'a semblé être le seul chemin. […] Tout cela est très difficile. Mais une fois qu’on y est parvenu, on se rend compte qu’on a eu le privilège de participer à rien de moins qu’un acte de rédemption. Quelle magnifique expression du mystère d’une vie donnée alors même que ses bourreaux pensaient la lui prendre !

Aujourd’hui, certains d’entre nous vont recevoir l’onction qui vient déployer cette grâce de don de soi que nous fait vivre l’eucharistie. La maladie est un mal qu’il faut combattre. Elle nous menace, physiquement et spirituellement. Elle menace de nous enfermer, de nous isoler et de nous plonger dans la désespérance. Le Christ le sait, lui qui s’est fait si proche de ceux qui souffraient et qui étaient malades. Il sait combien nous avons besoin de soutien, de proximité et de tendresse dans ces moments. Il veut emplir notre souffrance de sa présence pour nous donner de pouvoir vivre notre vocation. L’onction est cette force de Dieu. Elle vient ouvrir nos enfermements, cautériser nos chagrins, soutenir nos forces défaillantes, pour nous aider à vivre, à déployer ce que l’eucharistie nous a donné : devenir le corps du Christ, pour d’autres.

Je voudrais faire mémoire de notre frère Ernest que certains d’entre vous ont connu et qui a notamment fondé la section du pèlerinage en Haïti. Il y a environ 18 mois, affecté d’une tumeur au cerveau, il était arrivé à Toulouse. La maladie l’a cloué sur une chaise. Il était incapable de se mouvoir, parlant difficilement. Il est venu à Lourdes comme malade et a reçu, au milieu de nous, le sacrement des malades. Il a continué à sourire, est resté ouvert en tout, s’intéressant à la vie des autres, se réjouissant de nos apostolats. Il a fait sortir chacun de son isolement car il avait besoin d’aide. Il est devenu le catalyseur et le révélateur de notre fraternité religieuse. Soutenu par l’onction des malades, il s’est totalement remis entre nos mains et, comme Bernadette à Nevers, a pris l’office de la prière.  Si nous l’avons aidé, il nous a enseignés le vrai bonheur de la vie. En donnant sa vie, jusque dans la maladie, il nous a aidés à vivre.

Oui, le Christ, qui veut se faire proche de tous ceux qui souffrent, vient, à travers l’onction, soutenir, remplir de sa présence et aider à lutter contre la maladie. Et il dit : Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau et moi je vous procurerai le repos. Le Christ, qui s’est chargé de nos souffrances, nous demande aussi si nous voulons bien porter avec Lui le monde qui peine, et tous ceux qui n’ont plus d’espérance. Ce n’est pas sans lien avec l’amour de Marie, au pied de la Croix. Et c’est en signe de cela que nous oserons vous confier quelques-unes des intentions de prières les plus importantes que nous avons reçues. Frères et sœurs, marchons à la suite du Christ en donnant tout, dans l’eucharistie, en soutenant ceux qui souffrent en priant les uns pour les autres et en demandant à tous ceux qui vont recevoir l’onction de bien vouloir prier pour nous.

À vous la parole

20 commentaires

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« Oui je suis ce pain perdu sublimé par Dieu . Depuis que la maladie est entrée dans ma vie il y a 5 ans , j'ai compris que je devais me remettre entièrement dans les mains de la Sainte Trinité . Je sui... »

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Séverine - 06 octobre 2024 - 21:30

« Merci pour cette belle homélie. Je vous confie les noeuds qui étouffent ma vie, celle de ma mère, mon frère et ma soeur: le cancer de ma mère, 83 ans, son lourd traitement, la guerre où elle est, la d... »

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Amal - 05 octobre 2024 - 21:15

« Merci pour vos partages, vos homélies spirituellement riches. Vous me donner DU COURAGE sur la route, approfondissement de ma réalité de chrétienne en marche.Merci de me permettre de m’unir concrètem... »

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Michelle - 05 octobre 2024 - 15:09

« Mon Dieu que j'aime de tout mon cœur, de toute mon âme, je remets dans tes mains, avec confiance, la santé de Francis, mon mari, d'Anne-France, de ma famille, mes petits enfants, mon gendre, mes pro... »

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Renata - 05 octobre 2024 - 12:03

« le message dont j'avais tant besoin ce matin : je peux offrir mes épreuves pour les rendre fécondes !

merci »

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cathj - 05 octobre 2024 - 10:43

« Un grand merci pour cette homélie si riche et si nourrissante.C est un cadeau sur la route pour avancer. »

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Marie - 05 octobre 2024 - 3:44

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