Dignité et misère de l'homme

« Ô Père éternel ! ô feu, ô abîme de charité ! ô espérance, ô refuge des pécheurs ! ô fou d’amour ! As-tu donc besoin de ta créature ? Oui, me semble-t-il, car tu agis avec elle comme si tu ne pouvais pas vivre sans elle, toi qui es la vie qui fait vivre toute chose et sans laquelle rien ne vit ! Pourquoi donc es-tu si épris de ta créature ? Pourquoi cet amour éperdu pour ton œuvre ? Toutes tes complaisances sont pour elle, tu ne trouves de délices qu’avec elle ; le désir de son salut est en toi comme une ivresse ! Elle te fuit pourtant, mais tu es à sa poursuite. Elle s’éloigne, et tu te fais plus proche. Pouvais-tu te placer plus près d’elle, qu’en te revêtant de son humanité ? Et que dirai-je ? Je ferai comme le bègue, je dirai « A », « A », puisque je ne sais dire rien d’autre, puisque la langue ne saurait exprimer le sentiment de l’âme, qui infiniment ne désire que toi ! »

La merveille que contemple inlassablement Catherine de Sienne, c’est l’homme, merveille créée par Dieu, sa beauté. Dieu fait exister non pas seulement l’humanité en général, mais chaque être humain qu’il a vu en lui-même et qu’il aime en particulier. Chacun – chacune – quels que soient sa vie, ses forces, ses fragilités, ses péchés, voire ses crimes, est établi dans le cœur de Dieu pour toujours. Dieu aime. Il est épris, amoureux – enamoroso – de sa créature. C’est pourquoi Catherine proclame : « Rougis donc, ô créature, rougis d’être ainsi exaltée et d’être ainsi honorée par ton Dieu. » 

Nous avons tendance à regarder le monde, les autres et parfois nous-mêmes, en ne voyant que ce qui les assombrit ou nous assombrit. C’est vrai que le contexte international et national, les épreuves que rencontrent l’Église, les communautés chrétiennes blessées, mais aussi les familles, nous portent à ce pessimisme qui peut tourner à l’angoisse. Catherine en est consciente. Son souci est la misère de l’homme et son péché, et les malheurs de son temps. Ce souci est animé par la conscience profonde et le désir vif de la grandeur de chaque homme et sa beauté. Grandeur et beauté sont les qualités premières et c’est pour restaurer la dignité de l’homme, cachée sous les cendres du mal, que Jésus s’est fait homme. 

Le désir est au point de départ de tout chemin de conversion et de sainteté. Mais il s’agit d’abord pour chacun d’entre nous de comprendre ce désir qu’a Dieu de nous restaurer dans notre beauté et notre dignité, le désir qu’il a du salut des hommes, le désir de nous voir collaborer à son œuvre d’amour.

Nous pouvons faire nôtres les mots de la Vierge Marie, nous pouvons chuchoter : « Voici la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta parole. »